• JOURNEE DES OTAGES 17 aout 1944

     

    Introduction aux évènements d’Août 1944 à Couiza et Alet-les-Bains

     

    1939 : Le 3 septembre . Déclaration de guerre Britannique et Française à l’ Allemagne ( non belligérance italienne et neutralité des Etats-Unis )

    Le 29 septembre . Traité germano-soviétique du partage de la Pologne.

    Pendant des mois, les armées françaises et allemandes s’observent à travers la «  Ligne Maginot » côté français et la ligne «  Siegfried  » côté allemand. Cette période sera appelée

    «  la drôle de guerre"

    1940 : Du 10 mai au 25 juin «  Campagne de France ».

    Du 15 au 28 mai Capitulations hollandaise et belge.

    Du 28 mai au 4 juin Bataille de Dunkerque.

    Le 10 juin, l’Italie déclare la guerre à la France et à la Grande- Bretagne.

    Le 14 juin l’armée allemande occupe Paris.

    L’armée française, mal préparée à une guerre moderne n’a pu résister à l’armée allemande super équipée.

    D’août à octobre a lieu la bataille aérienne de Grande Bretagne.

    Devant l’indécision et la perte d’autorité du Gouvernement Français, les parlementaires, à l’exception de quatre vingt nomment le Maréchal Philippe Pétain, chef du Nouveau Gouvernement et Chef des Armées.

    Le 17 juin, le Maréchal Pétain demande l’Armistice.

    Le 18 juin, Le général Charles de Gaulle, replié à Londres, lance son appel à la Résistance.

    Le 22 juin, à Rethondes, le Maréchal Pétain signe l’Armistice qui sera appliqué dès le 25 juin. La France est divisée en zone occupée au Nord et en zone libre au Sud. L’Alsace- Lorraine est annexée.

    Le 10 juillet, Pétain est investi du pouvoir constituant. La République est abolie. La France devient l’Etat Français.

    Le 24 octobre Entrevue à Montoir sur Loir, préparée par Pierre Laval , entre Hitler et Pétain où les deux hommes tenteront de définir la politique de collaboration franco-allemande.

    Dès 1940, le Parti Communiste prend une part de plus en plus active dans la Résistance.

    D’autres citoyens d’horizons divers et un peu plus tard les guerrilleros espagnols restés en France viendront la rejoindre.

    La Résistance Française entame son parcours dans la clandestinité, mais va s’organiser.

     

     1941 : Le 24 septembre . Création du Comité National Français à Londres.

     1943 : Le 3 juin . Formation à Alger du Comité Français de Libération Nationale.

     

    Situation Générale début 1944- Evènements de l’été 1944

     

    Le temps a passé, l’Union Soviétique, malgré le pacte de non-agression du 23 août 1939 signé avec l’Allemagne, a été envahie le 22 juin 1941 par les Armées allemandes.

    Le 7 décembre 1941, les Etats-Unis sont entrés en guerre contre l’Allemagne , l’Italie et le Japon, nations totalitaires, après l’attaque par l’aviation japonaise de Pearl Harbor dans le Pacifique.

    La Résistance s’est étoffée grâce à des hommes comme Jean Moulin qui fonde le Conseil National de la Résistance au mois de mai 1943. Il le préside jusqu’à sa capture le 21 juin 1943. Torturé, il ne parle pas. Il meurt lors de son transfert en Allemagne le 8 juillet 1943. L’urne contenant ses cendres sera solennellement déposée au Panthéon en 1964.

    Le 6 juin 1944, les troupes américaines, anglaises et françaises débarquent en Normandie. Elles subissent de fortes pertes à cause du «mur de l’Atlantique » construit par les Allemands.

    Ces derniers commencent à se replier au Sud, pour monter vers le Nord, sur le Front de Normandie où les Alliés ont pu créer une tête de pont ( percée d’Avranches du 9 au 19 juillet)

    Nerveux , ils vont sur leur chemin de repli, massacrer sauvagement des populations innocentes.

    La division SS DAS REICH qui était en réserve dans le triangle Albi- Toulouse- Carcassonne, montant vers le Front de Normandie, laissera dans son sillage, les pendus de Tulle et Les femmes et les enfants brûlés d’Oradour sur Glane.

    Le maquis de Picaussel, du nom de la forêt qui l’abrita, fut la cristallisation de la résistance active , d’un coin de la Haute-Vallée et du Plateau de Sault.

    Les hommes ayant participé aux accrochages des «  Roches d’Alet à Cascabel » et de l’ »Etroit d’Alet » en faisaient partie.

    Le commando parachutiste du First- Lieutenant Paul SWANK fut largué le 11 août 1944 sur le Clat à 7 kms au sud Ouest d’Axat, sur un terrain non homologué, jalonné de pointements rocheux et de murettes de pierres sèches . Aussi, de ce largage, le parachutiste Jean KOHN, tombé sur une murette, dit-il avec humour dans son témoignage «  c’était un terrain anti-parachutiste, nous nous fîmes très mal ». Le Maquis de Salvezines attendait des armes, il reçut des hommes.

    Nous nous approchons des 17 et 18 août et le 15 et le 16 août 1944, le Débarquement de Provence va précipiter la remontée vers le Nord des Armées allemandes qui vont se montrer très irritées et dangereuses.

     

    Situation à Couiza et Montazels en Août 1944

     

    Il existe à Montazels, village limitrophe de Couiza, à côté de la gare SNCF, de grands bâtiments qui furent une fabrique de chapeaux de 1920 à 1928.

    Elle sera plusieurs fois camp de réfugiés.

    A la fin de la guerre civile espagnole- mars 1939- a lieu la « Retirada » et l’usine accueillera femmes et enfants pendant des mois.

    Début mai 1940, elle sera affectée à l’installation de l’usine d’aviation Farman, les ouvriers étant logés chez l’habitant.

    Après quoi, le 22 mai 1940 arrivera un train de réfugiés belges qui resteront là jusqu’à ce qu’ils puissent rentrer en Belgique.

    Elle restera pratiquement inoccupée jusqu’à l’occupation de la zone Sud par les Allemands le 11 novembre 1942.

    Ils en firent un énorme dépôt de vivres, à destination de l’armée, à raison de 100 000 rations mensuelles. Il est d’une grande importance stratégique, situé à Montazels, mais les officiers sont logés dans une grande maison bourgeoise au bord de la route Carcassonne Quillan ( alors Nationale ), le reste des militaires chargés du dépôt sont logés chez l’habitant. Cette présence entraîne bien des contraintes, barrages sur les routes par des chicanes aux entrées de Couiza, couvre-feu, défense passive, patrouilles jour et nuit, c’est- à -dire une occupation permanente que n’ont pas connue les villages environnants. Les unités allemandes, celle de Carcassonne en particulier, viennent s’y ravitailler. Les convois qui empruntent la route Carcassonne Quillan sont toujours protégés par de fortes colonnes armées.

    Le 16 août 1944, la XIX Armée allemande qui tient le Midi de la France, a reçu l’ordre de repli général vers la vallée du Rhône, avec comme point de ralliement Chalon-sur-Saône. Les Allemands vont tenter d’évacuer le dépôt de vivres de Couiza, du moins en partie, par la route 118, avant d’amorcer leur repli vers le Rhône.

     

    Journée du 17 août 1944 à Couiza

     

    Le 17 août au matin, une forte colonne de 200 hommes comprenant de la main d’œuvre civile pour la manutention au dépôt de vivres se dirige vers Couiza.

    Vous allez connaître la suite des évènements par des documents écrits et signés par des personnes ayant vécu ces évènements dramatiques. Ils étaient donc les mieux placés pour dire la vérité sur ce qui s’est passé ce jour-là.

    Suivent les documents laissés par ces personnes aujourd’hui disparues, dont nous avons voulu perpétuer la mémoire avec l’aval des familles concernées.

    Suivent les rapports recueillis.

     Rapport n° 1 de M. René PECH. 

     

    Le récit des tragiques évènements survenus l’après-midi du 17 août 1944 dans l’Etroit d’Alet, au cours desquels le soldat canadien SWANK trouva la mort glorieuse que l’on sait et dont Edouard Pech mon père, témoin oculaire, m’a laissé la narration, mérite d’indispensables explications et éclaircissements préliminaires, car en effet le lecteur non averti pourrait à bon droit se demander ce que faisait ce témoin «  dans cette galère ».

    Il y avait à Couiza, modeste chef-lieu de canton du piémont pyrénéen, une chapellerie désaffectée depuis la crise de 1929, sise rive gauche de l’Aude, non loin de la gare, composée de spacieux bâtiments qui hébergèrent un temps les très malheureux et pitoyables réfugiés de la guerre civile d’Espagne, puis, un plus tard, quelques ateliers des usines d’aviation Farmann. Lorsque les Allemands décrétèrent la suppression de la Ligne de Démarcation et occupèrent tout le pays, ils transformèrent l’ensemble des locaux de cette usine désormais libres en entrepôt de ravitaillement et y installèrent une petite garnison qui en assurait la garde…et défilait chaque semaine «  au pas de l’oie » dans les rues du village en chantant les airs nazis de triste mémoire.

    La Commune de Couiza était administrée par un conseil municipal de gauche issu des élections du Front Populaire, Baptiste Bieules étant maire et Edouard Pech mon père adjoint. De par sa situation familiale le maire résidait dans la commune voisine, à Espéraza. On doit avoir en mémoire que le mois d’août 1944 reste celui de la débâcle des armées d’occupation, débâcle traînant avec elle son cortège d’horreurs et d’atrocités. Donc, le 17 au matin, les autorités militaires allemandes de Carcassonne dépêchèrent vers le dépôt de Couiza un convoi de six gros camions afin de procéder à la récupération et au transfert de ce stock alimentaire. Ce convoi parvint à Couiza dans la matinée non sans avoir eu maille à partir avec la Résistance au lieu-dit «  les Roches d’Alet ». Ce mini accrochage rendit les Allemands nerveux et apeurés pour ce qui concernait leur accueil à Couiza d’une part, et leur fit craindre une embuscade lors du retour à Carcassonne d’autre part : le relief s’y prêtait tout au long des quinze kilomètres séparant Couiza de Limoux.

    Au village, en début d’après-midi, les choses commencèrent à se gâter sérieusement. Le maire, averti, se rendit dans sa commune, tandis que ça et là de jeunes soldats SS entraient sans ménagements, c’est-à-dire avec brutalité, dans quelques maisons, à la recherche de

    «  terroristes ». Puis, dans la foulée, ils exigèrent que la population se rassemblât sur la Place du Café de France et sur la Place Sainte Anne, de part et d’autre de la route : il ne faisait aucun doute que nous devions servir de bouclier humain en cas d’attaque du convoi de la part des maquisards. Dans le même temps, sous la tonnelle du Café de France, le maire accompagné de son adjoint fit part aux nombreuses personnes -silencieuses- qui se trouvaient là, des exigences et décisions du commandement militaire : un groupe de six otages devrait accompagner le convoi avec promesse de libération à Limoux si les maquisards «  ne se manifestaient pas » . Deux de ces otages furent nommés d’office, «  le Bourgmestre et le Pasteur » selon les propres termes des Allemands , auxquels devraient se joindre quatre volontaires . A défaut de volontaires seraient réquisitionnés dix jeunes gens.

    J’avais treize ans et demi, j’étais présent à cette scène et à ce qui va suivre, aux côtés de mon père que je ne quittais pas d’une semelle. La quête de ces volontaires par le maire Bieules fut un moment dramatique marqué par le refus de plusieurs sollicités : parmi d’autres, l’un souligna qu’il « avait déjà donné en1914 », l’autre avança qu’il avait «  une famille nombreuse à nourrir », un autre argua de sa profession «  au service de tout la population » pour se dispenser de ce volontariat. Je revois encore le visage blême et las de Baptiste Bieules. Se tournant alors vers mon père : «  Et vous Edouard, m’accompagnerez-vous ? ». Le Oui laconique de mon père entraîna immédiatement et dans l’ordre suivant, sans hésitation, l’adhésion de M. Embry, de M. Grillet et d’Emile Vié. Le Pasteur désigné d’office était l’abbé Seigné, curé doyen de Couiza. Les mains entravées, les six otages furent littéralement «  enfournés » dans une camionnette et le convoi prit la direction de Carcassonne.

     

    Rapport n°2 de M. Edouard PECH ( otage ). 

     

    Nous sommes arrivés les premiers sous le pont de fer d’Alet. L’officier commandant le convoi arrête celui-ci. Nous apprenons que les maquisards ont miné la paroi rocheuse, et on attend l’explosion.( Par quelle voie en a-t-il été informé ?). En effet, l’explosion se produit. Les civils réquisitionnés dégagent la route,. C’est vite fait car l’opération a raté.

    Les camions continuent leur route et la fusillade éclate. Notre camionnette est toujours à l’arrêt et nous laissons passer les poids lourds.

    Les Allemands, affolés, tirent dans la direction du tunnel et arrosent copieusement le bosquet rive droite de l’Aude, pensant que le maquis était là.

    Un civil de Carcassonne nous prévient de nous mettre à l’abri, car le maquis ne respecte rien «  là où il y a du Boche ». Avec Emile Vié, nous nous rangeons dans le fossé, Bieules, insouciant, restant au milieu de la route.

    Mais, au bout de quelques minutes, un SS, baragouinant le français, nous fait comprendre qu’il faut passer devant et il nous suit. Je dis à mes collègues «  faisons du surplace tant que nous pourrons, car il a plus peur que nous ».

    Nous avons été stoppés par une reprise de la fusillade. Le SS avait déjà disparu. Nous étions accolés contre la paroi, côté route, et Embry, ancien de la guerre de 14/18, me faisait remarquer les points d’impact de balles sur la route, en me disant «  cela ne vient pas d’en face, mais juste devant nous », n’empêche qu à la première accalmie, nous avons foncé nous allonger contre le mur qui borde la route, côté Aude.

    Entre temps, il faut dire que les officiers allemands s’étaient rendu compte d’où provenait le tir. Aussi, ils partirent ratisser le bosquet au dessus de la route. Et, en plus, ils avaient placé sur la route, à un point que je détermine sur le croquis, un camion léger, derrière lequel trois otages étaient assis par terre en vis-à-vis ; justement, j’étais sur le côté, d’où je pouvais voir la colline en plan incliné qui termine le bosquet. Et là, je vois un maquisard ramper parmi la maigre végétation. A mes yeux étonnés, les autres comprirent, je n’eus pas le temps de leur expliquer car une rafale de fusil-mitrailleur me sifflait à l’oreille droite, mais je le vis disparaître sain et sauf au sommet ; en me retournant avec précautions , je vis un officier qui, avec sa jumelle scrutait, et , avec le bout du pied touchait l’homme allongé sur le sol, toujours prêt à tirer. Comme cela j’en ai vu passer trois, et nous avons vu revenir les troupes qui ratissaient les fossés. Mais il restait toujours quelqu’un qui tirait et qui empêchait le convoi de repartir.

    On nous a fait repartir en avant, ce que nous avons fait en rasant la ligne des camions. Mais en arrivant à la hauteur du troisième, une nouvelle fusillade a fait «  planquer » tout le monde derrière ce camion, qui, chargé de tabac, chatouillait agréablement nos narines- et pas pouvoir en dérober un paquet !

    Nous avons vu passer un grand diable de sous-off aller ramasser un vélomoteur étendu au milieu de la route. Le malheureux n’avait pas fait vingt pas sur le chemin du retour qu’un coup de feu retentit, nous avons entendu un bruit, comme si on jetait une casserole sur la route, nous avons vu cet homme pivoter sur lui-même et sa cervelle entière répandue sur la route, et à la tête un trou béant et un crâne rose comme ces poupons à la tête éclatée que l’on voit parfois aux ordures. Voilà comment j’ai vu mon premier soldat mort à la guerre le 17 août 1944. Ce n’était pas fini, j’allais quelques instants plus tard en voir deux de plus.

    Après cet incident, un calme relatif est revenu. Embry nous disait » cela ne présage rien de bon , car nous sommes toujours bloqués- et avec ce mort, nous risquons de payer les pots cassés ».

    Comme il achevait ces mots, je vois passer un officier allemand, mais côté murette Aude, s’abritant derrière les camions, et porteur d’une mitraillette avec crosse en fer. Il était suivi par un soldat de taille moyenne, mais râblé et porteur d’un fusil.

    La suite est facile à comprendre. Le soldat passe devant l’officier, tire sur la camionnette, Swank tire sur le soldat, et se découvre. L’officier, prompt, tire et ne le rate pas .Ce qui me fait écrire cela, c’est que lorsque Roger Polin, d’Alet,( Croix Rouge), est venu emmener le corps sur une civière, j’ai tenu à le voir et à le saluer, et je me suis rendu compte qu’il avait été touché par une rafale alors qu’il était en position de tir, car ses bras nus aux manches retroussées étaient zébrés de traces rouges laissées par les balles sans compter celles qui l’avaient frappé de plein fouet à la tête.

    Le combat était fini. Il devait être six heures du soir. Tous les camions sont partis, et nous sommes restés les derniers, ramassant des blessés, sortant de dessous le ponceau, et chargeant le pauvre soldat qui avait servi d’appât pour prendre le courageux Swank ; et nous partîmes à la tombée de la nuit pour Carcassonne où madame Roussille est venue nous délivrer.

     

    A Couiza ce 11 novembre 2008

    René Pech


    Rapport n°3 de M. Emile VIE ( otage )

     

    «  Le 17 août 1944, dans l’après-midi, les Allemands ont rassemblé la population sur la place à Couiza. Ils ont pris six otages parmi lesquels je me suis trouvé, ainsi que le Maire et le Curé. Nous savions que les Allemands avaient eu un accrochage le matin avec le maquis de Picaussel dans les gorges de Cascabelle. Ils voulaient s’assurer par le moyen des otages un retour sans histoire à Carcassonne.

     

    Nous avons été contraints de monter sur un camion et le convoi est parti en direction de Limoux. Dans les gorges de Cascabelle une explosion a projeté des rochers sur la route. Le convoi s’est arrêté. Un adjudant, avisant une motocyclette placée sur le côté s’est approché de cette machine. Une rafale de mitraillette tirée par un homme camouflé à proximité l’ a abattu. Le maquis, posté sur la montagne en face, s’est mis alors à tirer sur nous. Le Curé, prenant son chapeau à la main, a fait de grands gestes pour montrer que nous étions des civils. Il faut dire que les Allemands qui, de leur côté, ripostaient, nous avaient placés devant eux pour se protéger. Aucun des otages n’a été touché.

     

    Quand les tirs ont cessé, les Allemands ont relevé leurs tués qui étaient au nombre de quatre. J’ai eu l’impression que la plupart avaient été tués par le tireur posté en bordure de la route. Ce dernier avait été tué lui aussi. C’est alors qu’on s’est aperçu qu’il s’agissait d’un officier américain (1) .Les Allemands nous ont fait monter dans le camion qui transportait les quatre cadavres. Ils nous ont dit : «  Demain, kapout ! »

     

    Arrivés à Carcassonne, nous sommes restés détenus à la caserne Laperrine. Nous nous attendions à être fusillés le lendemain vers midi, mais rien ne s’est produit. Vers 5 heures du soir, Madame Roussille de la Croix Rouge est venue à la caserne et les Allemands, sur ordre de leur Colonel, nous ont relâchés. Un capitaine allemand avait certifié que Madame Roussille avait soigné des blessés allemands et il semble que l‘intervention de cette dernière nous a sauvé la vie  »

     

    (1) Le Lieutenant américain SWANK avait été parachuté 8 jours plus tôt à Salvezines. Il faisait partie d’une mission venus e d’Alger pour encadrer le maquis.

     

    Rapport n° 4 de M. Roger POLIN ( VP Croix Rouge d’Alet ).

     

    Le 17 août 1944 vers 9 heures du matin, une colonne allemande est passée à ALET venant de CARCASSONNE et se dirigeant sur COUIZA dans le but d’aller chercher du ravitaillement précédemment entreposé par elle dans cette localité.

    Au lieu-dit «  Les Roches » ( route nationale N° 118 à 2 kms au sud d’ALET) un détachement composé d’environ une centaine d’allemands ayant mis en tête un camion monté par une quinzaine de requis civils français a été arrêté par des soldats F.F.I commandé par le sergent BOURNET. La route étant minée et après un court engagement la colonne a du faire demi-tour et s’est arrêtée à ALET pour panser ses blessés ( trois allemands et un requis français).En qualité de vice-président de la Croix Rouge Française j’ai voulu me porter sur les lieux du combat mais l’officier allemand, avec une rudesse frisant la brutalité, m’en a empêché.

    Après le repli de la colonne en direction de LIMOUX je me suis rendu, accompagné de : Monsieur BARRES directeur des secours d’urgence, du docteur SOUM de Carcassonne, du docteur REMEDI de Béziers et de Monsieur Fernand BOUSQUET chauffeur de la C. R. F., sur les lieux de l’engagement où j’ai pris contact avec le sergent BOURNET qui à ce moment-là était accompagné de six hommes seulement. Cette petite troupe n’ayant eu aucun blessé, les deux docteurs précités et moi-même n’avons pas eu à intervenir. J’ai prévenu le chef de détachement que les Allemands après avoir demandé téléphoniquement du renfort se préparaient à revenir. Je lui ai conseillé de prendre toutes mesures utiles nécessitées par cette nouvelle situation. J’ai rejoint mon poste à ALET d’où j’ai pu faire, à la demande du sergent BOURNET, appeler du renfort à Quérigut d’où il était détaché. Vers midi et demi environ la colonne allemande est remontée et a attaqué le faible détachement cité plus haut. Après avoir abattu le sergent BOURNET et trois de ses camarades elle a continué son chemin sur COUIZA. Je puis affirmer sur l’honneur que lorsque le lendemain je suis allé ramasser les corps des soldats F.F.I. qu’en plus des blessures qu’ils avaient reçues au cours du combat ils portaient à la base du crâne une plaie ronde provoquée par le projectile d’un pistolet automatique.

    Dans l’après midi du 17 août étant inquiet sur ce qui se passait à COUIZA, j’ai téléphoné à notre représentant de la C.R.F. Monsieur l’abbé SEIGNÉ, curé de cette localité. Il m’a été répondu que ce prêtre et cinq personnes de la ville avaient été prises pour otages et que nous allions les voir traverser ALET. En effet vers 18 heures environ la colonne allemande a traversé à nouveau ALET avec les otages au milieu du convoi et en tête le camion de requis civils.

    Au lieu-dit «  Les étroits d’Alet » ( route nationale n° 118 2 kms au nord d’ALET) une violente attaque se produisit mettant aux prises le convoi allemand et une troupe composée de six français et de six américains ?Je me suis précipité sur les lieux du combat pour porter secours aux blessés et j’ai immédiatement pris contact avec les six otages qui fort heureusement n’avaient pas été touchés .Par contre trois requis civils ont été atteints plus ou moins grièvement et un autre avait été tué sur le coup par une grenade. L’officier américain Paul Swank commandant le détachement avait également été tué par une rafale de mitraillette dans la cage thoracique et une balle dans la gorge lui avait sectionné la langue à la base. Après avoir parlementé longuement avec l’officier allemand j’ai obtenu de celui-ci l’autorisation de prendre le corps de l’officier américain que j’ai ramené à ALET aidé par Monsieur Fernand BOUSQUET.

    Le corps de cet officier et ceux des F.F.I. ont été amenés par moi-même chez Madame ROUSSILLE Présidente de la C.R. d’ALET où ils ont été déposés dans une chambre transformée en chapelle ardente.

    Auparavant j’avais également demandé à l’officier allemand commandant le détachement de me rendre les otages dont plusieurs faisaient partie de la Croix Rouge ? Après une longue discussion j’obtins l’assurance formelle de cet officier que les otages seraient libérés à LIMOUX où je pourrais aller les chercher ? Bien entendu cette parole ne fut pas tenue et ce n’est que le lendemain que Madame ROUSSILLE Présidente du comité de la Croix Rouge d’ALET après un plaidoyer de cinq heures obtint du colonel allemand commandant la place de Carcassonne la libération de ces prisonniers.

    Il est à noter que les autorités allemandes avaient décidé de fusiller ces otages.

    Après entente avec le P.C. des F.F.I. et des troupes américaines parachutées à QUILLAN le corps du lieutenant américain Paul Swank et ceux des F.F.I. tués au cours de l’action décrite plus haut ont été ramenés par les soins de la Croix Rouge d’ALET à leur point d’attache QUILLAN.

    En outre un soldat américain blessé réfugié à MAGRIE a été ramené par moi-même au P.C. dont il dépendait malgré la présence de troupes allemandes à COUIZA

     

    Monsieur Roger POLIN

    Vice-président du comité

    de la Croix Rouge Française

    d’ALET LES BAINS - AUDE

     

     Rapport n° 5 Relation des faits cosignée par les 6 otages.

     

    Le 17 août 1944 vers 10 h 30une colonne allemande se dirigeant de CARCASSONNE vers COUIZA, fut interceptée au lieu-dit 3 Les Roches d’ALET ( Route Nationale n° 112 d’Alby en Espagne 2 kms environ sud d’ALET ) par les F.F.I. Après un court mais violent engagement la colonne allemande dut faire demi tour se trouvant dans l’impossibilité de franchir le barrage de mines .Trois allemands furent blessés au cours de l’action.

     Après un retour offensif de la colonne, vers 12 h 30, la résistance F.F.I. fut débordée malgré son héroïque conduite ( un sous-officier et trois hommes tués ). Dès lors la colonne allemande put se porter jusqu’à COUIZA où l’officier la commandant prit six otages.

     Madame ROUSSILLE Présidente du Comité de la Croix Rouge d’Alet ayant réussi à éta blir une communication téléphonique avec son correspondant de Couiza( M.l’Abbé SEIGNÉ Curé de la localité) fut immédiatement informée que celui-ci avait été pris comme otage avec le Maire et quatre notables de la ville. Toutes dispositions furent alors prises par Mme ROUSSILLE afin de leur porter secours, si possible, lors de leur passage à ALET en direction de Carcassonne

     

    Vers 18 heures la colonne allemande ayant un camion de requis civils en tête suivi par celui transportant les otages fut attaquée au lieu-dit les «Etroits d’Alet ( Route Nationale d’Alby en Espagne 2 kms environ nord d’Alet) par six F.F.I et six américains parachutés à la tête desquels était le lieutenant Paul SWANK tué au cours du combat. Après un sévère engagement de trois heures les pertes étaient les suivantes :

    1 officier américain tué.

    1 soldat américain blessé.

    1 requis civil français tué.

    7 requis civils français blessés.

    3 soldats allemands tués.

    17 soldats allemands blessés dont 2 mortellement.

     

    Faisant preuve d’un courage et d’une abnégation au dessus de tout éloge Mme ROUSSILLE prodigua ses soins aux blessés aidée par les docteurs SOUM, REMEDI, BONHOMME, Mme de THUBERT , REO & SALVAYRE et fit la dernière toilette au mort américain dont le corps repose dans les appartements privés de Mme ROUSSILLE transformés en chapelle ardente.

     

    Le Capitaine allemand chef du détachement remercie Mme ROUSSILLE pour les soins donnés à ses hommes dans son ambulance Croix Rouge. Elle profita de ses bonnes dispositions pour lui demander la grâce des six otages qu’il avait en sa possession. Ce qui lui fut accordé, les otages devaient être laissés à LIMOUX.. L’interdiction allemande de circuler empêche Mme ROUSSILLE de se rendre au lieu-dit où du reste ils ne furent pas déposés mais amenés à la prison militaire allemande de CARCASSONNE

     

    Après la veillée funèbre de l’officier américain le 18 août dans la matinée les quatre corps des Français tués la veille furent amenés chez Mme ROUSSILLE qui fit seule leur toilette mortuaire les fit transporter dans son appartement auprès de leur camarade américain où une nombreuse population d’ALET et des villages voisins vint saluer leur dépouille mortelle.

     

    Vers onze heures de nombreux habitants de COUIZA vinrent supplier Mme ROUSSILLE d’intercéder auprès des autorités allemandes pour obtenir d’elles la libération des otages.

    Malgré son surmenage elle partit pour CARCASSONNE et se rendit auprès de Mr MARCHAIS Préfet pour lui demander son aide dans cette circonstance. Il lui répondit que le matin deux personnes étaient venues le trouver ( je crois Mr VILLA & Mr BARRIERE) pour qu’il veuille bien intervenir auprès du colonel allemand pour faire libérer les otages. Il fit connaître à Mme ROUSSILLE qu’un entretien téléphonique avec cet officier supérieur lui avait été refusé et que dans ces conditions non seulement il ne serait pas reçu mais que sa présence risquait de compromettre la réussite de la démarche tentée par Mme ROUSSILLE.

     Ne pensant qu’à la vie des six hommes qu’il fallait à tout prix sauver elle n’hésita pas à essayer d’obtenir une entrevue avec le colonel allemand commandant la place. Elle y parvint grâce à sa ténacité et au dévouement qui l’animent.

     Après avoir vu un commandant allemand qui s’était déclaré incompétent et après une attente de plusieurs heures elle obtient une entrevue avec le Colonel s’étant présentée à lui comme étant la Présidente du Comité de C.R. qui avait soigné les soldats allemands blessés la veille. Il lui fit alors connaître qu’il était déjà en possession de ces renseignements. Après un plaidoyer dramatique et duquel dépendait la vie de 6 hommes le courage admirable de Mme ROUSSILLE eut raison de la ténacité de l’officier allemand qui consentit à lui accorder la grâce des otages en échange des soins donnés à ses hommes la veille.

     

    Il donna des ordres téléphoniques à la caserne LAPERRINE pour que les otages soient rendus à Mme ROUSSILLE lorsqu’elle s’y présenterait. Elle s’y rendit sans délai et fut introduite dans la prison militaire où elle annonça elle-même aux six prisonniers leur délivrance.

     Ce fut un moment pathétique où la reconnaissance de ces hommes procura à Mme ROUSSILLE un des plus beaux moments de sa vie.

    Elle alla ensuite à la Préfecture annoncer ce beau résultat au Préfet qui la félicita de ce magnifique succès qu’il n’espérait point.

    Un accueil particulièrement chaleureux attendait Mme ROUSSILLE à COUIZA où toute la population lui manifesta sa reconnaissance.

     Vous avez pu lire ces récits, vous avez sûrement remarqué la grandeur du dévouement, de l’intelligence et de la ténacité de la Présidente de la Croix Rouge d’ Alet-les-Bains, Madame ROUSSILLE qui sauva par son action d’une mort certaine les 6 otages de Couiza.

    Son frère, M. Roger POLIN, lui aussi, ne ménagea pas ses efforts, vous avez pu lire l’étendue de son action et de son courage.

    Nous ne devons pas oublier les otages, car vous avez pu lire aussi que les Allemands ont exigé d’abord le Maire de Couiza et le Pasteur ( M. le Curé ) . Ils ont ensuite demandé quatre volontaires et dit qu’à défaut, ils prendraient dix jeunes gens dans la population. Après un flottement très compréhensible devant la gravité de la situation, quatre hommes se sont portés volontaires, évitant ainsi la deuxième solution.

    Nous devons avoir, pour ces hommes, une pensée de reconnaissance et d’admiration, pour leur courage et leur abnégation, car ils savaient qu’ils allaient, à moins d’un miracle, à la mort.

    Couiza a vécu ces évènements voilà 67 ans.

    Aujourd’hui leur souvenir reste dans la mémoire des anciens.

    Notre village a subi ce drame des otages auquel il ne s’attendait pas, avec stupéfaction, mais courage et dignité. La population, craignant un danger pouvant s’abattre sur le village, les maquisards aux portes de Couiza ont eu la prudence de ne pas intervenir compte tenu du risque de représailles encourues. Ils ont choisi d’attaquer dans un endroit plus isolé, sur le chemin de retour du convoi. Dans la matinée du 18, de nombreuses personnes sont venues prier Madame Roussille de sauver les otages. Ce geste les honore, mais il s’avéra inutile. Heureusement cette grande dame avait compris depuis la veille ce qu’elle avait à faire. Cette fin heureuse pour les otages ne doit pas nous faire oublier les morts et les blessés causés par ces affrontements. Donc, honneur et gratitude à ces courageux volontaires.

    Le 18 août au matin, a lieu une brève réunion de l’Etat Major du Maquis au cours de laquelle est établi un plan de récupération du dépôt de vivres.

    Mais les maquisards chargés de libérer les lieux, vont trouver un dépôt sans défense, la garnison ayant demandé à se rendre à un officier français.

    Monsieur Camarasa, lieutenant de réserve, instituteur à Montazels réceptionna la demande de reddition et conduisit les soldats prisonniers dans son école. Les maquisards récupérèrent le dépôt et mirent en place un dispositif pour empêcher le pillage.

    Le 22 août 1944- après les évènements des 17 et 18 août, Couiza est déclaré libéré.

    Le Comité Local de Libération est mis en place par le Conseil National de la Résistance.

    Il est composé de Messieurs Paul Jean, Paul Raynaud, Fernand Guichou, Louis Déloupy, Georges Pidoux et Auguste Robert.

    Il a pour mission de remplacer la Municipalité en place pour assumer la gestion de la Commune, sous l’autorité de Paul Jean, nommé Président du Comité, et ce, à partir de ce jour, jusqu’aux prochaines élections municipales.

    Mais cette usine n’en avait pas terminé avec son rôle d’accueil. En 1945, elle abritera de nombreux Russes récupérés par les armées alliées en Allemagne et ensuite des Polonais arrivés dans les mêmes conditions. En même temps, c’est l’arrivée échelonnée dans leurs familles du gros contingent des soldats faits prisonniers en 1940. D’autres, les plus âgés avaient été libérés plutôt avec la promulgation du S.T.O ( Service Travail Obligatoire ) et l’échange prisonniers- travailleurs plus jeunes. Quelques-uns dont la captivité avait été très dure arrivèrent très affaiblis et décédèrent prématurément, venant s’ajouter aux soldats peu nombreux tués au front. Nous associerons à notre hommage toutes ces victimes, les maquisards tués ou blessés dans les combats contre les Allemands, sur notre secteur et particulièrement les quatre jeunes volontaires tombés au Champ d’Honneur ce jour du 17 août 1944 aux «  Gorges de Cascabel ».

    Nous citons :

    Charles Bournet

    Marino Soligo 17 ans

    Emile Jouillet 19 ans

    Jean Pérez 20 ans

    Nous ne pouvons terminer sans évoquer les massacres et les destructions commis par les troupes allemandes qui se replient. D’abord il y eut la destruction du hameau de l’Escales. Ensuite la tragédie de Trassanel le 8 août 1944où périrent 47 membres connus du Maquis Armagnac. Et dernier exemple de la barbarie nazie le 19 août 1944 le massacre de Baudrigues. Le 19 août, les Allemands emmènent dans un fourgon cellulaire dix-neuf détenus de la prison au dépôt de munitions de Baudrigues, commune de Roullens à six kms de Carcassonne. Les dix-neuf prisonniers sont fusillés sur le dépôt par les Allemands qui font ensuite sauter ce dernier. C’est un enfer les éclatements se succèdent pendant trois heures. On a retrouvé des débris de corps pendant deux ans, il y en avait jusqu’à trois cents mètres à la ronde.

    Le mot de la fin : Comment peut-on être aussi barbare ?

     La guerre 1939-1945 a pris fin par le suicide de Hitler le 30 avril 1945 suivi de la capitulation de l’Allemagne le 8 mai 1945.

     Sont cités dans ce récit des extraits du livre «  La Résistance Audoise » Tome II présenté par Lucien Maury et construit avec les témoignages des membres du «  Comité d’Histoire de la Résistance du Département de l’Aude » que nous remercions vivement.

     

    Août 2011.


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