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    NOTICE RELATIVE A L’EGLISE DE COUIZA

                                                                                    par René PECH

     

     

         L’église de COUIZA, placée sous l’invocation de Saint Jean-Baptiste, telle qu’elle s’offre à nos regards, a été presque entièrement reconstruite en 1855 sur l’emplacement d’un édifice ancien, de l’origine et de la configuration duquel nous ne savons a peu près rien. Cependant, les rares sources écrites ou imprimées nous permettront dans un premier temps d’évoquer ce que fut ce bâtiment. Des renseignements plus nombreux nous conduiront à traiter en second lieu de l’église actuelle, des circonstances de sa construction et de son mobilier.

     

         Il convient d’accueillir avec circonspection les assertions de notre vénérable compatriote Louis FEDIE* selon lesquelles l’abbaye de Lagrasse aurait fondé ici, aux temps carolingiens, le prieuré de CUVICIANUS, ce nom de lieu pouvant tout aussi bien désigner l’actuel lieu-dit de CUIZE, sis au cœur de la Corbière, en ce qu’elle a de plus âpre et de plus retiré. Plus vraisemblablement, cet ancien édifice était contemporain du

    COUSANUM figurant dans la liste des villages donnés à Pierre de VOISINS, en 1231, par Saint LOUIS**. Au XVIIème siècle, les registres paroissiaux conservés en mairie évoquent incidemment l’existence, dans cette église, d’une chapelle dédiée à Saint Raymond de PEÑAFORT. Au siècle suivant, une très intéressante minute notariale du 10 juin 1733, provenant de l’étude de maître SIAU, notaire d’ ESPERAZA et portant adjudication des travaux de reconstruction du clocher, nous apprend que le clocher primitif, situé à la jonction du chœur et de la nef, menace de s’écrouler. Il sera reconstruit là où on le voit aujourd’hui ; à cette occasion l’intérieur de l’église sera entièrement rénové. Enfin, en pleine Révolution, le 16 thermidor an II, le citoyen COMTA, ancien moine de Saint Michel de CUXA, en présence des officiers municipaux consternés et apeurés, se livre avec des exaltés de sa suite à la destruction des tableaux, des tabernacles, des retables et, pour faire bonne mesure, de la pierre du maître-autel***.

     

         On sait avec certitude que la nef centrale de notre ancienne église abritait plusieurs sépultures ; laissons parler Louis FEDIE, témoin oculaire :

         «  Deux de ces tombeaux, placés vers le centre de l’édifice, consistaient en une seule pierre de petites dimensions, et marquaient probablement la sépulture de deux anciens prieurs… Au milieu de la partie haute de la nef et au bas des degrés qui la séparent du chœur, on remarquait un e large dalle en granit gris mesurant deux mètres de longueur sur un mètre de largeur…Une sépulture en demi-bosse, placée au centre de la dalle, représentait deux tours rondes liées… Une inscription latine en grosses lettres encadrait la dalle sur les quatre côtés. En partie effacée, nous n’avons pu en relever que le fragment suivant : JOHANNES…OBIIT…ANNO DOMINI MDLXXVI

    (Jean…trépassé…L’an du seigneur 1576) ».

    D’autres pierres tombales marquaient aussi les sépultures de Guillaume de JOYEUSE, maréchal de France, de certains de ses enfants et de Jeanne d’ALBRET, épouse de Claude de REBE. Cette dernière pierre, sauvegardée lors de la reconstruction de 1855, se trouve aujourd’hui aux fonts baptismaux, les autres ayant été malencontreusement recouvertes, hélas !, par le carrelag    Venons-en maintenant à l’édifice d’à présent. Une délibération du conseil de fabrique datée du 30 décembre 1855 nous fait savoir qu’il était alors indispensable de reconstruire et d’agrandir l’église du lieu « compte-tenu de son exiguïté et de sa vétusté ». Afin de ne pas interrompre l’exercice du culte durant le temps des travaux, on conserva les bâtiments anciens en tant que vaisseau central, jusqu’à ce que les bas-côtés soient terminés. Le premier fut élevé e, 1845 ; 1855 voyait l’achèvement du second. Ce fut aussi à cette date qu’on remania le vaisseau central et le chœur. La pierre de taille utilisée pour les arcs des chapelles provient des carrières d’Alet, tandis que les pierres des colonnes ont été extraites des carrières de Rennes les Bains. Il est également précisé dans les documents que les pierres provenant des parties démolies du sanctuaire antérieur servirent à la construction du nouveau. En 1868 on posa le vitrage de la fenêtre axiale : ce vitrail, aujourd’hui disparu, représentait Saint Jean-Baptiste. Quant au clocher, construit en 1733, il fit l’objet de travaux de consolidation en 1902. A la même date, on renouvela les enduits intérieurs et extérieurs. Enfin, en 1913, on passa commande d’une horloge neuve auprès d’un horloger mécanicien de Morez du Jura : L.D.Obodey cadet****.    

         En entrant dans l’église, on est frappé par l’ampleur et la luminosité du lieu. A droite un élégant bénitier aux proportions harmonieuses est taillé dans le marbre de Caunes, beau et noble matériau d’un usage constant dans les églises de notre contrée pendant deux siècles. A gauche, les fonts baptismaux abritent la cuve octogonale, en pierre du pays, d’ancienne origine. Au centre du chœur, on admirera le maître-autel provenant, dit-on, de la chapelle particulière des anciens évêques d’Alet, dont les lignes sont en parfaite harmonie avec les deux crédences en bois doré du XVIIIème siècle. Un artisan de COUIZA a conçu et réalisé sobrement la stalle du chœur c orne en sa partie supérieure un Saint Jean-Baptiste en pied. Enfin l’église possède deux plats de quête du XVème siècle, mais surtout un très beau calice du XIVème siècle d’inspiration byzantine, vraisemblablement offert par le cardinal de Joyeuse et qui a figuré à la dernière exposition nationale d’art sacré.

       Mais a ces œuvres précieuses s’en ajoute une autre, plus immatérielle, à jamais oubliée et peut-être irrémédiablement perdue : en ce lieu témoin des joies et des peines de générations d’ancêtres s’est déroulée de siècle en siècle l’antique et « magnifique liturgie » du Rituel d’Alet particulière à notre ancien diocèse et abandonnée après la Révolution. Voici ce qu’en dit notre témoin privilégié* :

    « Il existe dans l’ancien diocèse d’Alet un souvenir qui se rattache à l’exercice du culte et qui remonte peut-être jusqu’à ces temps reculés où les bénédictins habitaient leur maison conventuelle d’Alet. N’est-ce pas en effet à ces religieux qu’il faudrait attribuer la création de la magnifique liturgie qui jusqu’à ces dernières années a été en vigueur dans l’ancien diocèse d’Alet ?... Nous croyons devoir consigner ici l’impression qui est demeurée dans l’esprit des populations de la contrée. Cette impression se traduit par un sentiment d’admiration pour certains chants du rituel de l’ancien diocèse… C’est surtout dans les « Nocturnes » que l’on chantait dans les cérémonies funèbres, que l’on retrouve un  caractère émouvant et grandiose, traduisant les accents les plus expressifs de la douleur humaine ».

     

         Au terme de cette notice qui s’est voulue le plus possiblement exhaustive, nous souhaitons d’une part qu’elle intéresse évidemment les fidèles et les visiteurs, d’autre part qu’elle incite les corps constitués à entreprendre les indispensables travaux de restauration et de rénovation de ce sanctuaire.

     

    Texte rédigé en novembre 1994

     ----------------------------------------------------------------------------------------Louis FEDIE né à COUIZA en 1815 mort à Carcassonne en 1899 issu d’une famille de notables installée à Couiza depuis des siècles, demeurant à l’angle de la rue de la Rampe et de la Route d’Espagne, dans la maison baignée par la rivière de SALS. Erudit local, son Histoire du Comté du Razès et du diocèse d’Alet est sujette à caution, mais on doit lui accorder du crédit sur les points évoqués ici.

    **Histoire du Languedoc, dom VAISSETTE tome VIII éd Privat Toulouse. 1879.

    ***G.Kiess Aspects de la Révolution en Haute Vallée de l’Aude. S.l.n.d.

    ****Lettre de Monsieur l’Archiviste départemental du 15 mai 1991 adressée à la mairie de COUIZA à propos de l’éventuelle restauration de l’église.


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