• Les origines de ce petit chef-lieu de canton de 1200 habitants sont liées à la présence d’un domaine gallo-romain dont on  ignore encore l’emplacement exact. Il faut attendre l’époque carolingienne pour apprendre que le modeste village de Couzanum est cédé à la déjà riche abbaye de Lagrasse qui y fonde un petit prieuré, rive gauche de la Sals dans le quartier de l’actuelle église. Les religieux, au fil des siècles, procèdent à une sommaire fortification des lieux, car en effet, l’an 1226, en plein drame cathare, la dame de Niort de Sault et son fils Raymond de Roquefeuil, indignés des procédés de l’inquisition, se font administrer le sacrement du Consolament – par l’effet duquel ils accèdent au rang des Parfaits – dans « La Force de Couiza ». De nos jours,  ce quartier du village porte encore ce nom.
     
     
    Lors de la conquête du Midi par les Croisés du Nord, l’un  des lieutenants de Simon de Montfort, Pierre de Voisins, reçoit en fief les terres de Couiza sises rive droite de la Sals et celles d’Arques ; ces deux villages et leurs hameaux constitueront la baronnie puis le marquisat d’Arques et Couizan jusqu’à la Révolution. La famille de Voisins a laissé  peu de traces architecturales de son établissement triséculaire à Couiza : en 1940 subsistaient encore un moulin et une chaussée sur le cours de l’Aude, une glacière, et, de ce qui avait été un manoir bâti sur voûtes très remanié au fil des siècles, une fabrique de chapellerie devenue manufacture de chaussures le long de la route 118 « d’Alby en Espagne ».         
     
     
    L’an 1518 reste LA date mémorable de l’histoire de Couiza : cette année-là, Françoise de Voisins, unique héritière et ultime descendante du lieutenant de Simon de Montfort, s’unit à Jean de Joyeuse. Ce mariage est à l’origine de la construction du château, unique spécimen « Renaissance » du département de l’Aude. Sévère et orgueilleuse demeure seigneuriale édifiée au bord de la rivière d’Aude, face au Roc de France, cette solide construction n’assura jamais un rôle tutélaire à l’égard du village et de ses pauvres habitants. En sa très belle cour intérieure se déploient l’élégance et la noblesse de la première Renaissance, le château ayant été construit entre 1540 et 1550, François 1er régnant. On émet l’hypothèse que Nicolas Bachelier, élève de Michel-Ange et maître d’œuvre de l’hôtel d’Assézat de Toulouse, en aurait été l’architecte.
     
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    Venons-en maintenant aux deux familles seigneuriales propriétaires de ce château deux siècles durant. Les JOYEUSE, originaires de Joyeuse en Vivarais, qu’ils possèdent en fief par mariage depuis le XIIème siècle, avec le simple titre de baron, servent fidèlement le roi pendant la Guerre de Cent Ans, si bien que Charles VII, en 1432, leur confère le rang de Vicomte. Dès cette époque, ils vivent à la cour dans la familiarité des rois Valois. Jean de Joyeuse est Lieutenant Général en Languedoc et gouverneur de Narbonne. Son fils Guillaume, pourvu de la même charge, nommé Maréchal de France par Henri III en 1582, passe sa vie à pacifier la province, qu’il parcourt en tous sens, résidant souvent à Couiza, où il se retire définitivement en 1588 et où il meurt « fort âgé » en janvier 1592. Dans ces temps de guerre civile où se déchaine une barbarie sans nom, il convient de souligner qu’au lendemain de la Saint Barthélémy (août 1572), alors qu’il se trouvait à Béziers, Guillaume de Joyeuse s’opposa au massacre des protestants de cette ville. De ses sept garçons, certains appelés à de hautes charges et délaissant le château, ne devait survivre qu’une petite-fille Henriette-Catherine de Joyeuse, duchesse de Montpensier, puis de Guise, et grand-mère maternelle de la célèbre « Grande Mademoiselle ». Cette « haute et puissante dame » vendit le château et la seigneurie d’Arques et de Couiza, en 1646, à Claude de Rébé, neveu de l’archevêque de Narbonne.
     
     
     
    La famille de REBE, origine d’Amplepuis en Lyonnais, conserve le château jusqu’au milieu du XVIIIème siècle. Elle réside surtout à Paris mais aussi à Couiza. Seuls de toute la noblesse du diocèse d’Alet à être membre de droit à l’assemblée des Etats du Languedoc, les Rébé obtiendront des Etats la construction du pont sur l’Aude, actuel Pont Vieux, dont les parapets laissés à l’abandon mériteraient une sérieuse et complète restauration. Pour préserver le bourg de Couiza des redoutables crues de l’Aude, ils font aussi édifier, toujours par les Etats, une digue en bonne pierre de la rue d’Aude jusqu’au Pont. Ce souci du bien public rachète les fautes que cette famille commit à l’encontre des habitants lors de son installation à Couiza et contre lesquelles s’éleva avec détermination, courage et succès, le seul évêque d’Alet qui ait laissé un nom dans l’histoire du royaume : Nicolas Pavillon. Après les Rébé, le château et la seigneurie deviennent propriété du milliardaire carcassonnais Castagnier d’Auriac, puis de sa fille madame de Poulpry, laquelle émigra à la Révolution ; ses biens considérables, dont le château, furent alors saisis puis vendus. 
     
     
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    Pour ce qui concerne le village proprement dit, sa configuration s’ordonne d’une part dans la proximité de l’église, contiguë au cimetière, d’autre part le long de la Sals, rive gauche. La petite bourgeoisie locale, les Fédié, les Vasserot, les Saurine, les Amigues, vivent pour la plupart rue du Pont, devenue de nos jours les rues de la Rampe et du Cimetière-Vieux, tandis que les manants s’entassent dans le secteur des Quatre-Coins et dans quelques maisons du quartier d’ « Outre-Pont », rive droite de la Sals. Rue Saint-Jean, une imposante demeure d’époque Louis XIII appartenant aujourd’hui à plusieurs propriétaires et qui ne conserve qu’une seule de ses quatre fenêtres à meneaux, abrite pendant 250 ans la plus riche famille du bourg, les Peprats ou Peprax, négociants : l’un d’eux, sous Louis XV, est titulaire de l’ordre royal et militaire de Saint Louis.
     
     
     
    Profondément remaniée au XIX siècle,  l’église, placée sous l’invocation de Saint Jean-Baptiste, ne permet pas d’imaginer ce que fut cet édifice dans les siècles passés. On sait qu’en 1794 une petite troupe de fanatiques sous la conduite du « citoyen Comta », moine défroqué de l’abbaye de Saint-Michel de Cuxa, procéda à la destruction des retables et du mobilier des chapelles latérales ainsi qu’au martèlement de l’autel-majeur, sous le regard consterné et apeuré des autorités locales. Il faut regretter que les pierres tombales de quelques dignitaires religieux de l’ancien prieuré d’une part,  celle de Guillaume de Joyeuse d’autre part, toutes situées dans la nef centrale, aient été recouvertes au XIXème siècle par le pavement actuel. En entrant dans l’église, on est frappé par l’ampleur et la luminosité du lieu. A droite, un élégant bénitier aux harmonieuses proportions est taillé dans le marbre de Caunes,  beau et noble matériau d’un usage constant dans les églises de notre contrée pendant deux siècles. A gauche,  les fonts baptismaux abritent la cuve octogonale en grès du pays, d’ancienne origine. Au centre du chœur, on admirera le maître-autel, enfin classé, provenant de la chapelle privée des anciens évêques d’Alet, dont les lignes sont en parfaite harmonie avec les deux crédences en bois doré du XVIIIème siècle. Un artisan de Couiza a conçu et réalisé sobrement la stalle du chœur corne en sa partie supérieure un Saint Jean-Baptiste en pied. Enfin, l’église possède deux plats de quête du XVème siècle et un très beau calice du XIVème siècle, d’inspiration byzantine, vraisemblablement offert par le Cardinal de Joyeuse et qui a figuré à la dernière exposition nationale d’art sacré.
     
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    Le XIXème siècle, en sa première moitié, voit émigrer la bourgeoisie citée plus haut. L’économie plutôt pauvre connaît un premier développement avec l’aménagement d’une filature, en 1813, dans l’ancien manoir des Voisins, appelée de ce fait « Le Mécanique » ; puis vient la prospérité avec la naissance de l’industrie chapelière et la construction du chemin de fer Carcassonne-Quillan-Perpignan (1880). A partir des années 1950, Couiza, comme les autres bourgades de la haute-vallée,  sombre dans une semi-léthargie. Son seul atout résiderait dans la réelle beauté du paysage où le bourg s’est endormi, à la confluence de ses deux rivières : l’Aude et la Sals ;  cette dernière tire son nom de sa salinité, supérieure à celle de l’eau de mer (33g par litre à sa source appelée la Fontaine Salée). Ce « charmant » cours d’eau, deux fois par siècle et depuis un temps immémorial, reste la malédiction automnale du village. Il s’y invite à grand fracas en semant la dévastation sur son passage. Et pourtant, nous l’aimons bien, la Sals ! A l’entour de l’ancien village quelque peu dépeuplé, des lotissements et des pavillons d’une architecture standard abritent de nouveaux habitants. C’est sur l’évocation de ce nouvel et nécessaire agrandissement de notre chef-lieu de canton à l’histoire millénaire, que se clôt cette notice. 
                                                                                         
                                                                                               René Pech,
                                                                                               Couiza, mars 2002
     
    Ouvrages consultés.
     
    Sur les origines :
    -J. Lemoine, Toponymes du Languedoc, éd Picard, Paris, 1975,
    -L. Fédié, Le Comté de Razès et le Diocèse d’Alet, éd. Lajoux, Carcassonne, 1880
    -E. Griffe, Le Languedoc Cathare, éd. Letouzey, Paris, 1973.
     
    Sur les Joyeuse :
    -Le Père Anselme, les grands officiers de la Couronne,
    -Dom Vaissette, Histoire Générale du Languedoc,
    -P. de Vaissière, Messieurs de Joyeuse, éd. Albin Michel, Paris, 1926.
     
    Sur les Rébé :
    -Vie de Nicolas Pavillon, évêque d’Alet, Utrecht, 1739.
     
    Registres paroissiaux de 1668 à 1790 et minutes notariales de 1580 à 1914.


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